Au Au commencement était le mot
 

1.La Pâque n´est plus ce qu´elle fut. Il faut la récupérer. Fêter la Pâque suppose assumer l´essentiel des deux traditions: de la pâque juive qui fête (dans le passé ) la sortie d´Égypte et (dans le présent) le passage de l´oppression à la liberté: Dieu passe en sauvant; et de la pâque chrétienne qui fête (dans le passé) le passage du Christ de ce monde vers le Père et (au présent) son passage au milieu de nous comme Seigneur de l´histoire : il passe en apportant le salut. Avant le quatrième siècle , il n´y a qu´une célébration qui a lieu le soir de pâque. Nous pouvons nous demander ce que signifient les paroles de Jésus, aujourd´hui: allez nous préparer la Pâque (Lc 22,8).

 

2. La pâque juive est fêtée dans une ambiance familiale, dans les maisons, dans le cadre d´un repas, avec du mouton: Vous le garderez jusqu´au quatorzième jour de ce mois, et toute l´assemblée de la communauté d´Israël l´égorgera au crépuscule (Ex 6; cf. 12,1-5). La pâque juive est un dîner avec des lectures et des psaumes (récit de l´exode, Ps 113-118; cf. Mc 14,26). Le pain azyme (de même que les herbes amères) est un symbole des difficultées vécues. C´est le pain des persécutés, le pain de la misère et de la hâte, le pain qu´il fallut emporter et cuire avant sa fermentation. Le rituel juif le dit ainsi: Voici le pain de misère que nos ancêtres ont mangé en Égypte, que celui qui en aura besoin vienne fêter la pâque. L´exode est une expérience d´une valeur permanente: le Dieu vivant, qui agit dans l´histoire, ouvre un chemin de libération pour celui qui est opprimé. Le croyant,  reconnaissant  et plein d´espoir, élève la coupe du salut (Ps 116,13; Lc 22,20).

 

3. Dans le cadre juif de la pâque, chacun raconte son histoire: et, tous ensemble fêtent l´histoire commune d´Israël: en répètant un refrain ( dayenou: cela nous aurait suffi), ils proclament l´action libératrice de Dieu: Il nous a comblé de tants de faveurs!.. S´il avait simplement divisé la mer pour nous sans nous l´avoir fait passer à pied sec, cela nous aurait suffi… S´il nous avait donné la loi sans entrer dans le pays d´Israël, cela nous aurait suffi. S´il nous avait fait entrer dans le pays d´Israël sans bâtir la maison d´Élection pour nous, cela nous aurait suffi.

 

4. Dans les premiers siècles, la pâque chrétienne est précédée d´un jeûne court et rigoureux (un jour, deux ou davantage), qui provient d´une interprétation littérale du passage évangélique où l´on demande à Jésus pourquoi ses disciples ne jeûnent pas. Le jour où ils seront privés de la présence de Jésus, alors ils jeûneront (Mt 9,15), mais d´une façon différente. Ce qui souille l´homme ce n´est pas ce qui entre par la bouche mais ce qui sort du coeur (cf. Mc 7,5-23). Sur ce sens-là porte la question: quel genre de jeûne devons-nous faire pour fêter la Pâque? Du reste, il est significatif que Jésus, l´Agneau de Dieu, (Jn 1,29), ait été sacrifié le jour de la préparation de la Pâque (19,14: 1 Co 5,7).

 

5. Une réalité fondamentale que nous n´arrivons pas à comprendre est la suivante: la veillée pascale est la célébration de la Pâque tout entière. La pâque n´est pas seulement la passion et la résurrection considérés comme deux événements successifs. C´est le passage de l´un à l´autre, des ténébres à la lumière, de la mort à la vie, de la tristesse à la joie (Jn 16,20). C´est une veillée. Par conséquent on va veiller (cf. Ex 112,42) avec les lampes allumées (Mt 25,4) et le contenu de cette veillée est, en premier lieu, la Parole de Dieu (vivante et abondante), et ensuite l´eucharistie (action de grâces).

 

6. Des témoignages très anciens (La Lettre des Apôtres au milieu du IIème siècle et la Didascalie au IIIème siècle) nous montrent une veillée fêtée pendant toute la nuit jusqu´au chant du coq; par conséquent, elle commençait au crépuscule et finissait après minuit avec l´eucharistie. Â un moment donné, surtout à l´époque du catéchuménat (IIIème et IVème siècles) la veillée pascale finit par inclure la célébration du baptême (cf. Rm 6,3-11). On discuta beaucoup au IIème siècle à cause de la date: les communautés de l´Asie Mineure fêtaient la Pâque le 14 Nisan, de même que les Juifs et les premiers disciples; le reste de l´Église le faisait la nuit du samedi au dimanche et mettait en relief la résurrection. Victor, évêque de Rome, proclama l´excommunication . Mais Irénée de Lyon et Polycrates d´Éphèse, ainsi que les évêques d´Asie, lui rappelèrent la tradition écclésiastique: Polycarpe d´ Esmine et Anicète de Rome ( passant outre ces différences d´opinion) étaient en communion (Eusèbe de C. HEV,24,17).

 

7.  La Didascalie décrit la veillée pascale de la façon suivante: Vous vous réunirez et veillerez, et pendant toute la nuit vous veillerez avec des prières et des larmes, vous lirez les prophètes et les évangiles et les psaumes, dans la crainte et le tremblement avec des prières, jusqu´à la troisième heure de la nuit qui suit le samedi. Alors vous romprez le jeûne, vous offrirez le sacrifice et vous mangerez et vous serez heureux dans la joie et l´allègresse, puisque le Christ, les primices de notre résurrection, a ressuscité.

 

8. Vers la fin du IVème siècle apparaît déjà la tradition du triduum saint, dans lequel on fête les aspects successifs du mystère pascal. Saint Ambroise dit: C´est le triduum saint … pendant lequel (le Christ) a souffert, s´est reposé et est ressuscité (Ep. 23,12-13:Pl 16,1030). Saint Augustin met en relation le passage de Jonas dans la baleine avec le triduum pendant lequel le Seigneur est mort et est ressuscité: vendredi, samedi, dimanche (De consensu Evang.,3,66: Pl 34,1199).

 

9. À partir du Vème siècle, le catéchuménat, ainsi que l´aspect baptismal de la veillée pascale disparaissent progressivement. On essaie,  alors, de pallier ce défaut au moyen d´un élargissement du symbolisme rituel: bénédiction du feu, du cierge, de l´eau. Cette phase symbolique fut bientôt suivie de la phase dramatique, quand, sous l´influence de la litturgie de Jérusalem, on scénifie les circonstances de la passion.

 

10. Déjà au Vème siècle, le dimanche qui inaugure la Semaine Sainte, la liturgie orientale fête l´entrée messianique de Jésus à Jérusalem tandis que la liturgie romaine (avec Saint Léon le Grand) inclut déjà la passion (mercredi et vendredi saint aussi). D´un autre côté, Saint Augustin répond à une question sur ce qu´on devait faire le jeudi saint: la règle d´or est de suivre les pratiques de l´Église dans laquelle on se trouve (Ep.54,5:Pl 32,202). Depuis le VIIIème siècle, une nouvelle conception du triduum s´impose dans l´église latine, le triduum avant la Pâque: jeudi, vendredi et samedi. Peu à peu, la dégradation de la Pâque avance. Pie V (1566) défend de célébrer la messe l´après midi, ce qui fait que l´office de la veillée pascale est avancé au matin du samedi . Cependant, le 9 février 1951 la Congrégation des Rites décide de restaurer la veillée pascale.

 

11. Malgré toutes les réformes (de 1955 et de 1970) il existe encore des problèmes: le dimanche des rameaux, on mêle l´entrée messianique avec la passion, et, en plus, on évite la dénonciation du temple, qui explique la mort de Jésus (Mc 11,18); le Jeudi Saint, le lavement des pieds l´emporte sur la Cène (Jn 13,-17; 1 Co 11,23-26); le Vendredi Saint, on néglige l´impressionante Parole de la croix (Ps 22); dans la veillée pascale, la rénovation des promesse baptismales est insuffisante et uniquement formelle; le déficit actuel d´évangélisation des baptisés demande quelquechose de plus: un processus d´inspiration catéchuménale qui puisse aider à découvrir ce que le baptême signifie vraiment; finalement, on ne met pas en relief le dynamisme indivisible du mystère pascal ( le passage de l´oppression à la liberté, de la mort à la vie) et, la Pâque n´est plus ce qu´elle fut.

 

12. Quel que soit le moment où on le célèbre, avant la fête de Pâques (Jn 13,1), le premier jour de la semaine (Jn 20,1), huit jours après (Jn 20,26), pendant quarante jours (Ac 1,3), pendant cinquante jours (2,1), chaque semaine (20,7; Ap1,10), pendant toute l´année, le fait fondamental est celui-ci: Ce Jésus que vous, vous avez crucifié, est le Seigneur (Ac 2,36) . Nous aussi, nous pouvons reconnaître sa présence et son action à de multiples signes (1Co 15,16;Jn 21,7), qui se produisent comme fruits de la Pâque. Sa Pâque, son passage, a inauguré, pour le monde entier, l´aube d´un nouveau jour qui ne finira jamais.