Au Au commencement était le mot
 

*LA BONNE NOUVELLE EST ANNONCÉE AUX PAUVRES 

1. L´Evangile n´est ni abstrait ni neutre. Où qu´existent la pauvreté, la misère ou l´oppression, là apparaît une Parole de libération. Comme ce jour-là, dans la synagogue de Nazareth: L´Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu´il m´a consacré par l´onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m´a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur (Lc 4,18-19). Ainsi s´accomplit ce qu´avait annoncé le prophète Isaïe : Les malheureux trouveront toujours plus de joie en Yahvé, les plus pauvres des hommes exulteront à cause du Saint d´Israël (Is 29,19). L´Évangile de Jésus présente, gage d´authenticité, ce signe tant attendu : les pauvres sont évangélisés (Mt 11,5).
2. La pauvreté est une donnée constante de l´expérience humaine. Sur le pauvre pèse le poids d´une misère soit ponctuelle soit permenente : faim, maladie, ignorance, injustice, tyrannie. Les pauvres, si souvent oubliés où que ce soit, mettent en jeu des questions aussi vivantes et universelles que le pain, la santé, le travail, le logement, l´éducation, la justice, la liberté. Dans notre monde, dont la population tourne autour de 5 700 millions de personnes, il y en a 500 millions qui souffrent de la faim; 1 700 millions dont l´espérance de vie est inférieure à 60 ans; 1 500 millions sont des chômeurs; 1 000 millions sont analphabètes; 2 000 millions ne disposent pas d´approvisionnement sûr et stable en eau; 500 millions sont handicapés; 100 millions n´ont pas de toit; 28 millions sont des réfugiés.
3. Dans la Bible, la pauvreté est un mal qu´il faut combattre dans le cadre d´un peuple fraternel : Certes, il y aura toujours des pauvres sur la terre ; aussi je te donne ce commandement : Tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays (Dt 15,11). La pauvreté, intrinsèquement, est mauvaise ; elle est le signe vivant de la faute humaine. Ce que le pauvre crie, c´est que le monde ne répond pas au projet de Dieu. C´est vrai, la misère peut être fruit de la paresse (Pr 6,6-11) ou du désordre (13,18) ; mais il vrai aussi que nombre de pauvres sont victimes de l´injustice des puissants qui abusent de leur pouvoir pour les exploiter. Ces pauvres-là trouvent dans les prophètes leurs défenseurs naturels.  
4. Les prophètes dénoncent les inégalités scandaleuses entre riches et pauvres, l´oppression dont souffrent les faibles, la rapacité des puissants, la tyrannie des prêteurs de fonds sans entrailles, les fraudes des commerçants, la vénalité des jujes, l´avarice des prêtres et des faux prophètes. Les prophètes annoncent qu´une telle société ne peut subsister. Ainsi parle le prophète Michée : Malheur à ceux qui projettent le méfait et qui trament le mal sur leur couche ! Dès que luit le matin,  ils le mettent à exécution car ils en ont le pouvoir entre leurs mains. S´ils convoitent des champs, ils s´en emparent ; des maisons, ils les prennent ; ils saisissent de force le maître avec sa maison, la personne avec son héritage (Mi 2,1-2 ; cf. 3,11-12 ; Is 3,15 et 5,8 ; Am 2,6-8 ;8,4-6).
5. Jean le Baptiste n´exige aucune ascèse spéciale. Il appelle à la conversion ceux qui sont croyants depuis toujours : Produisez des fruits dignes du repentir, et n´allez pas dire en vous-mêmes : « Nous avons pour père Abraham » (Lc 3,8). À la question posée que devons-nous faire (3,10), il répond : il convient de partager (3,11), d´éviter les abus (3,13), de ne pas profiter du pouvoir (3,14).
6. L´Évangile annoncé par Jésus fait irruption sur une terre réduite à l´esclavage, plongée dans les ténèbres, en quête de rédemption. Il constitue une bonne nouvelle pour les pauvres, c´ est à dire la foule de ceux qui sont soumis par les puissants (Mt 20,25). Selon le projet de Dieu, les pauvres doivent cesser de l´être ; et pour cela, il faut partager (Jn 6,1-15), mettre en pratique l´amour fraternel et l´amour pour le prochain (Lc 10,25-37). Il s´agit  que personne ne soit dans le besoin (Ac 4,34). On comprend donc que  les pauvres reçoivent l´évangile comme une bonne nouvelle : Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous (Lc 6,20). Le Royaume de Dieu ne se limite pas à une situation économique et sociale, il implique aussi une disposition du coeur, une attitude intérieure : Heureux ceux qui ont une âme de pauvre (Mt 5,3). 
7. Puisque l´Évangile est une bonne nouvelle pour les pauvres, on comprend qu´il constitue une mauvaise nouvelle pour les riches : Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses de pénétrer dans le Royaume de Dieu ! (Lc 18,24). Et aussi : Malheur à vous, les riches, car vous avez votre consolation (Lc 6,24). Il faut choisir entre Dieu et l´argent (Mt 6,24).
8. L´Évangile ne range pas du côté de l´argent et du pouvoir. Entre la foule et les puissants, Jésus fait une option pour la foule qui courbe la tête et qui est prostrée (Mt 9,36). Marie le chante dans le Magnificat : il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles (Lc 1,52). Les puissants se sentent menacés par la diffusion de l´Évangile, il craignent que ne se rompe le pacte politique  passé avec l´Empire (cf, Jn 11,48). Ce sont eux qui harcèlent Jésus et qui, à la fin, le crucifient (Mt 27,37).  Et néanmoins, l´Évangile est séquestré par les classes dominantes, et ce, pour établir un pacte entre le pouvoir et les Églises chrétiennes.
9. C´est certain, l´Évangile annoncé aux pauvres constitue un défi qui interpelle les disciples et les incite à se poser la question : Mais alors, qui peut être sauvé ?, un défi qui, en même temps, nous permet de comprendre la gratuité du salut : Pour les hommes impossible, mais non pour Dieu : car tout est possible pour Dieu (Mc 10,23-27).
10. Examinons l´expérience de Bartolomé de las Casas. Bartolomé arrive en Amérique le 15 avril 1502, neuf ans après sa découverte, et il participe avec Ovando à la violente conquête des indiens « Tainos ». Il est ordonné prêtre en 1511. En 1523, il devient dominicain. À partir de janvier 1513, il participe avec Pánfilo de Narváez à la conquête de l´île de Cuba, où la domination européenne des chrétiens s´impose « à feu et à sang ».
11. Conformément au système dit « de la répartition », Bartolomé reçoit un groupe d´Indiens qui travaillent pour lui. Complice qu´il était de la violence, il devient complice de l´exploitation. Le moine Bartolomé de las Casas, écrit-il lui-même, vaquait, très occupé, à ses propriétés, et envoyait, comme les autres, les Indiens de sa « répartition » dans les mines pour y extraire de l´or ou encore, en en tirant le meilleur parti possible, semer des terres.
12. Tout était apparamment en ordre, quand un évènement très normal vient remettre les choses en question : arrive Diego Velázquez, et, comme il n´y avait dans l´île ni moine ni frère, il demande à Bartolomé de célébrer la messe et de proclamer l´évangile. On célébrait ce jour-là la Pentecôte de l´année 1514. Le fait est que Bartolomé commença à se pencher par lui-même sur certaines  autorités de l´Écriture Sainte. Et il y trouva un passage du livre de l´Ecclésistique (34,18-22) qui le laissa pantois : Les offrandes de biens injustes sont impures ; elles ne sont pas acceptées, les offrandes de ceux qui sont impies. Le Très-Haut n´agrée pas les offrandes de l´ impie, ce n´est pas pour l´abondance des victimes qu´il lui pardonne ses péchés. C´est immoler le fils en présence de son père que d´offrir un sacrifice avec les biens des pauvres . Le pain, c´est la vie du pauvre, et l´en priver, c´est commettre un meurtre. C´est tuer son prochain que de lui ôter sa subsistance ; c´est répandre le sang que de priver le salarié de son dû.
13. Bartolomé fut incapable de célébrer sa messe. En applicant le texte biblique à la situation de misère et d´esclavage que subissaient ces gens, il fit réflexion en lui-même et se rendit à l´évidence de la réalité : n´étaient qu´injustice et  tyrannie toutes les actions commises vis à vis des Indiens. En conséqunce, il rendit la liberté à ses Indiens (il décida de les laisser complètement libres) et il commença sa prédication prophétique d´abord à Cuba, puis à Saint Domingue, et par la suite en Espagne et dans tous les royaumes des Indes tous restant admiratifs et en même temps effrayés de ce qu´il leur disait. Ce passage de l´Ecclésiastique acquiérait une force impressionnante.
14. L´Église doit être, tout particulièrement, l´Église des pauvres (Jean XIII). Ainsi parle le Concile : Tandis que des foules immenses sont dépourvues du strict minimum, certains... vivent dans l´opulence ou gaspillent sans considération (GS 63). Pour satisfaire les exigencs de la justice doivent ètre éliminées les énormes différences sociales (Gs 66). * La question s´impose : que devons-nous faire ? 
15. L´expérience de foi, si elle est authentique, implique une option pour les pauvres. Nous pouvons nous demander ce que cela signifie : une option sociale ? plus qu´une option sociale ? faire l´aumône ? partager ? faire le choix d´une vie de pauvreté ? se ranger au côté des pauvres ?